L’absence du petit point blanc clignotant
Dimanche prochain, ce sera la journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal. Au départ, j’avais le syndrome de l’imposteur en m’identifiant à cette journée. Parce que j’avais « seulement » fait une fausse couche. À 12 semaines. Lors de ma première grossesse. C’est si fréquent pourtant. 1 femme sur 5 qu’ils disent. Ouin… 1 sur 5… C’est effectivement beaucoup. Mais est-ce que cela diminue notre droit d’avoir de la peine? Est-ce que cela efface l’immense trou qui s’ouvre sous nos pieds lorsqu’on l’apprend? Est-ce que parce que nous connaissons 2-3-7 filles qui l’ont vécu avant nous, cela fait moins mal? Non. Oh que non. Tellement pas… Voici donc ma petite histoire à moi. Parce que nous avons le droit d’y penser, d’en parler, même des années plus tard. Même si d’autres vous font croire le contraire. Vous laisse croire que ce n’est pas si grave.
J’avais 24 ans. Ce bébé-là était prévu, calculé presque. J’étais tombée enceinte le premier mois d’essai! Joie, bonheur! On n’en revenait pas de notre chance! Nous avions annoncé la bonne nouvelle à nos familles le jour de Noël. J’avais écrit une lettre à ma mère. Comme dans les films! J’étais si heureuse! J’avais des nausées de fous et des « craving » de poutines du McDo, de tomates cerises et d’oranges. Je tenais un journal de maternité. Des anecdotes et des photos s’y ajoutaient de jour en jour. Je me flattais la bedaine en rêvant de cet enfant-là. Je lui parlais, lui promettais une vie de douceur et d’amour.
J’attendais mon rendez-vous de 10 semaines avec impatience. J’avais si hâte d’entendre le son de ce petit cœur! Le jour tant attendu est arrivé. Avec fébrilité, mon chum et moi avons jasé avec l’infirmière, reçu une pile de paperasse et notre Mieux Vivre. La gentille dame m’a badigeonné la bedaine de gel et nos oreilles se sont ouvertes comme jamais. Nous attendions LE son qui allait changer notre vie. Nous l’avons attendu, mais rien n’est venu. L’infirmière nous a rapidement rassurés. Il arrivait que le fœtus soit encore trop petit pour que nous puissions entendre le cœur. J’étais peut-être même moins avancé dans ma grossesse que ce que nous croyions. Elle m’a donc prescrit une échographie de datation, juste pour être sûrs.
Ce 26 janvier là, suivant le fantastique protocole, j’ai bu un litre d’eau une heure avant mon rendez-vous. Et j’ai sacré entre mes dents pendant deux heures parce que ma vessie était sur le point d’éclater. C’était ma première échographie à vie. J’étais énervée comme une puce. Je n’avais absolument aucune idée de ce à quoi m’attendre. Lorsque mon nom a finalement été appelé, mon amoureux et moi sommes entrés dans la minuscule chambre noire. La technicienne a fait son travail sans un mot. Nous, jeunes futurs parents, avions les yeux rivés sur l’écran, fixés sur le petit haricot en noir et blanc qui représentait déjà tellement pour nous. Elle a terminé, nous a souhaité une bonne journée et nous avons attendu le docteur. Nous étions si contents! Nous ne lâchions pas l’écran des yeux! Il était là! C’était lui! NOTRE BÉBÉ! Le docteur est entré dans la salle. Après un bonjour d’usage, il nous a pointé l’écran et nous a dit : « Vous voyez ici, vous devriez voir le petit point blanc clignoter. C’est le cœur de votre bébé. Ici, il ne clignote pas. L’embryon a arrêté de grossir à 7 semaines. Je vais vous prescrire un médicament et vous pourrez vous débarrasser de tout ça dès ce soir. » Il m’a donné ma prescription et est sorti. Aucun mot n’est sorti de ma bouche. J’étais sous le choc. Je manquais d’air. Mon chum ne comprenait rien. Il me regardait avec des points d’interrogation dans les yeux. J’ai articulé un faible « c’est fini » et nous sommes sortis.
J’ai tellement pleuré pendant les jours qui ont suivi… Je ne pensais même pas que je pouvais pleurer autant. Après la peine, la colère s’est pointée le bout du nez. J’en voulais à la vie, mais surtout, j’en voulais à ces professionnels qui nous avaient traités de façon si froide! Oui c’est fréquent. Oui j’imagine qu’ils doivent faire ce genre d’annonces plusieurs fois par jour. Mais c’était NOTRE première fois. NOTRE bébé. NOTRE douleur. Rien ne peut excuser cette indifférence. Je ne demandais même pas de la compassion… Je demandais simplement un peu de respect. 8 ans plus tard, ce sentiment ne s’est pas atténué.
On s’est relevés, on s’est aimés et on s’est fabriqués trois autres bébés. Mais nous n’avons jamais oublié le premier.
À toi qui vient de vivre pareille situation, à toi qui souffres actuellement en silence, viens nous partager ton histoire en commentaires. La raconter ne fait pas moins mal, mais se sentir écoutée, comprise et soutenue fait un grand bien. Et penser à ces petites étoiles, peu importe le nombre de temps qu’elles nous ont habitée, leur permet assurément de goûter un peu à cette vie qui leur a été enlevée.
À vous toutes, je vous envoie une grosse dose d’amour. xxx
Article rédigé par Véronique Désormeaux
Vous souvenez-vous de Geneviève, la maman des triplées? Elle nous parle des fameuses questions auxquelles elle doit répondre lorsqu'elle sort avec ses filles.