Suis-je normale, docteur?

Dernièrement, pas une semaine ne passe sans qu'un drame humain majeur n'apparaisse aux nouvelles: kidnapping d'enfant, attaque terroriste dans une capitale faisant des centaines de morts, ouragan destructeur, décès d'une mère de famille...

insensibilité

Chaque fois, je me sens terriblement mal... parce qu'en fait, chaque fois, je ne ressens rien de particulier.    

Bien sûr, je suis désolée pour ces gens qui souffrent, mais après avoir pris connaissance de la "nouvelle", je passe à autre chose sans difficulté, sans ressentir le besoin de publier des "I am Machin-Chose" ou de parler de ma peine à qui veut bien entendre... je ne rumine pas ma souffrance du monde dans un coin, je rumine plutôt ma non-souffrance, me demandant constamment "suis-je normale, docteur?"

J'ai pensé longtemps que mon passé d'anthropologue était en cause - après tout, j'ai passé plusieurs années à manipuler des centaines d'ossements humains plus ou moins récents, des années à fouiller le passé et les us et coutumes des gens, à étudier le comportement humain... j'ai même travaillé quelques années dans un salon funéraire et je vous avoue que ça aura été mon emploi préféré! Placer les corps, observer le comportement des gens en période de deuil... le tout sans émotion jamais, détachée de la souffrance des autres, émerveillée lorsque je découvrais des marques de violence sur les ossements dont je devais trouver la cause, fascinée par la "poupée de chiffon" dans le cercueil devant moi... Après tout, le corps humain, ce n'est qu'une grosse machine compostable, non?

Alors, je suis normale ou pas, vu mes antécédents?  

Pourtant, dans la vie de tous les jours, j'éprouve des sentiments, je suis une personne émotive qui braille comme un bébé à tout bout de champ, j'ai un grand cœur et j'aide sans jamais attendre de retour... pourquoi je reste insensible à l'annonce d'une catastrophe humaine?

Puis, dernièrement, une amie m'aura dit LES mots que j'espérais entendre depuis des années : "moi aussi, je suis comme ça, tu n'es pas seule".  Elle aura même rajouté que notre "détachement" serait sain, puisque nous sommes capables d'être empathique sans nous effondrer sous le poids de la douleur des autres, nous permettant de conserver tous nos moyens pour justement aider les autres à traverser leurs souffrances, qui sont peut-être moins "capables" que nous de faire abstraction de l'horreur d'une situation!

Re-alors... Suis-je normale ou pas, docteur?

La réponse est oui, au même titre que vous qui ressentez la douleur des autres!

Et vous, vous réagissez comment face à un drame humain?  

Article rédigé par Annie Goudreau

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