Les enfants, laissez-moi vous raconter la quarantaine de mars 2020
En temps normal, je me serais dit que ce serait une bonne idée de vous écrire une lettre pour vous raconter ce qu’on vit. En temps normal, je ne l’aurais probablement pas fait, par manque de temps. Mais depuis une semaine, du temps, on en a plus qu’on n’en a jamais eu. Je veux vous écrire une lettre en ce début de quarantaine parce que j’ai peur de ne plus me souvenir des sentiments qui m’habitent en ce moment, une fois qu’on sera en plein cœur de la crise ou encore quand tout sera derrière nous et que les seuls souvenirs qu’on aura seront les plus marquants.
J’ai peur d’oublier cette espèce de crainte en sourdine qui m’habite le cœur depuis une semaine. J’ai peur de ne plus me souvenir de ce drôle de « feeling » qui ne me quitte pas une seconde, cet état de choc qui me fait dire que ce qui nous arrive ne se peut juste pas.
Parce que ce qui nous arrive est historique. Je ne croyais pas vivre cela de mon vivant. Tout est mis sur pause. La première étape a été la fermeture des écoles, des garderies, des cégeps et des universités. Du jour au lendemain, tous les enfants du Québec, tous les étudiants sont à la maison. L’année scolaire est temporairement arrêtée. Pour l’enseignante que je suis, ça veut dire un long congé, à la maison avec vous. Je suis chanceuse. Plusieurs parents n’ont pas la même chance. Plusieurs familles du Québec se retrouvent avec un méchant casse-tête. Pour certains c’est au niveau de l’organisation qu’ils doivent improviser. Les deux parents doivent travailler, les garderies d’urgence qui ont ouvert ne sont pas accessibles pour eux… Pour d’autres c’est le budget qui devient un souci permanent. Parce qu’une fois les écoles fermées, plusieurs autres commerces et industries ont fermé, renvoyant leurs employés à la maison. Les cinémas, plusieurs restaurants, plusieurs chaînes de magasins, les bars, les piscines, les centres sportifs, tout ferme…
Le gouvernement nous demande de rester à la maison, de ne pas voir de gens sauf si nécessaire. On sort juste pour faire l’épicerie. Et là aussi tout est différent. Les gens ont peur. Comme c’est la première fois que plusieurs vivent un isolement de la sorte, ils craignent de manquer de nourriture. Plusieurs ont même peur de manquer de papier de toilette… Personne ne comprend vraiment pourquoi, mais j’imagine que d’ici quelques semaines un nom scientifique sera inventé pour nommer cette nouvelle phobie.
Ton papa et moi on essaie au maximum de vous épargner pendant cette crise. Plus on avance, plus on comprend qu’on en a pour longtemps à être confinés comme ça. Alors pourquoi vous faire peur et vous stresser avec trop de détails? Vous savez qu’il y a un gros virus qui court, que ce virus peut être dangereux pour les personnes âgées. Vous savez qu’il faut se laver les mains encore plus souvent et plus longtemps qu’à notre habitude. Vous savez que nous devons rester à la maison, que nous ne pouvons pas inviter d’amis à venir.
Mais ce qu’on s’assure que vous sachiez surtout c’est que les superhéros existent. Nous qui aimons tant l’univers de Marvel et des Avengers, nous avons la situation idéale pour vous montrer à quel point dans notre ville, dans notre vie, les superhéros sont présents. Ils ne portent pas de cape, mais on peut les reconnaitre facilement. Ce sont eux qui ne sont pas tranquillement à la maison à attendre que ça passe. Certains travaillent dans les hôpitaux et sauvent des vies. D’autres travaillent à l’épicerie, à la pharmacie, conduisent des camions, s’assurent que les usines continuent de bien fonctionner pour qu’on puisse manger nos trois repas par jour. Certains gèrent la logistique du télétravail pour que le plus de gens possible puissent être en sécurité à la maison. Certains sont au poste dans les services de garde pour permettre à d’autres superhéros d’aller au travail. Certains font des points de presse tous les jours pour tenir la population informée.
Vous êtes trop petits pour bien comprendre ce qui se passe. Quand vous serez grands, vous vous souviendrez surement des longues vacances qu’on a eues en 2020, mais pas tellement de la crise du Covid-19. Vous ne vous souviendrez surement pas de l’économie qui a pris une méchante débarque, des chiffres qui montaient chaque jour et de l’énorme sacrifice que toute une province a fait en prévention, pour s’assurer que les chiffres ne grimpent pas trop vite. Parce que c’est pour ça que nos vies sont complètement chamboulées, pour contenir les chiffres. Ailleurs dans le monde des scènes d’horreur se vivent chaque jour. Des médecins doivent prendre des décisions qu’aucun humain ne devrait prendre. Des infirmières tombent au combat, parce que le virus l’a emporté et qu’ils n’ont plus aucun contrôle sur son évolution. Ici on a la chance d’avoir des dirigeants qui ont mis leurs culottes très rapidement, qui ont pris des décisions difficiles, mais nécessaires.
J’espère vous écrire dans quelques semaines pour vous dire que ça n’a pas été facile, mais que tranquillement la vie reprend des allures de normalité. Mais en réalité, je ne sais pas dans combien de temps je vais pouvoir dire cela… Dans combien de temps vais-je retrouver mes élèves? Dans combien de temps on ira au cinéma? Dans combien de temps les petites entreprises qu’on aime tant rouvriront (si elles rouvrent…)? Dans combien de temps on pourra penser aller en voyage pour le plaisir? Et c’est me posant toutes ces questions que le cœur me serre, que l’inquiétude me prend et que l’incertitude m’étourdit.
Quand ça m’envahit, je vous serre dans mes bras. On se construit une cabane pour lire un livre, on cuisine des muffins, on écoute un film ou on fait des legos. Parce que le temps qui nous est donné, on en profite. C’est un cadeau inattendu. Tant qu’à être confinés, aussi bien savourer chaque minute.
Texte par Janie Larivière
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