Être parent d’enfants qui n’ont « jamais vécu »
Lorsqu’on me demande combien j’ai d’enfants, je ressens toujours un petit malaise, une petite guerre entre ma tête et mon cœur. Dans le plus profond de mon être, je suis maman quatre fois, et ce, même si je n’en vois qu’un seul rire et grandir, à une vitesse folle d’ailleurs.
Avec le temps, j’ai réalisé qu’être parent d’enfants qui « n’ont jamais vécu », ça rend souvent les gens inconfortables.
J’ai reçu des commentaires se voulant bienveillants, mais souvent maladroits, et des commentaires quelque peu déplacés. « C’est mieux comme ça », « tu es encore jeune », « tu sais deux fausses couches c’est dans la normalité », « tu devrais arrêter de chialer, tu as déjà un enfant », « tu devais être trop stressée, apprends à relaxer avant de retomber enceinte », « la vie t’envoie un message ».
Disons que j’ai appris à filtrer certains commentaires pour me protéger. Un simple « je suis là au besoin » est tellement plus apprécié dans ces moments difficiles.
Au cours des trois dernières années, je suis passée de la colère à la peine, de la joie à la peur en passant parfois même par l’envie. Je me suis sentie seule, incomprise et trahie par mon propre corps.
J’en ai voulu, et j’en veux encore à la vie. Je me suis sentie coupable et j’en suis même allée jusqu’à penser que je méritais peut-être tout ce qui m’arrivait.
J’ai l’impression de voyager à bord d’un petit radeau et d’être à la merci de la mer. Parfois, tout est calme et le soleil brille. Parfois, il y a de petites vagues un peu déstabilisantes. Parfois, je me croirais au beau milieu d’un tsunami.
Récemment, je me suis retrouvée dans une de ces grosses tempêtes. Une de celles où tout brasse tellement qu’on ne voit même plus où l’on va. Début janvier, lors d’une échographie vers 15 semaines de grossesse, mon monde s’écroule.
Bébé trois, notre Noa est en boule, dans le fond de mon ventre. Son cœur s’est arrêté environ deux semaines après la parfaite échographie de clarté nucale. Une image qui me revient encore souvent en tête. Je suis en état de choc, je n’arrive même pas à pleurer.
Je dois avoir un curetage au planning, seule, sans possibilité d’être accompagnée en raison des normes sanitaires liées à la COVID.
Le scénario se répète en mai.
Je suis enceinte de 12,5 semaines lors de l’échographie de clarté nucale. Je n’arrive pas à croire que la vie s’acharne sur moi encore. Que la vie me prenne un autre bébé que je désire tant, sans mon accord.
Le cœur d’Axele a cessé de battre il y a environ une semaine. Je dois encore une fois vivre un curetage seule. Se bousculent alors 1001 questions sur ce que j’ai pu faire, manger, penser ou dire qui aurait pu causer ces deux fausses couches.
Alors que j’ai toujours tout fait ce qu’il fallait, je me sens tout de même responsable de leur perte.
Vivre un curetage, peu importe la raison, n’est pas une partie de plaisir. C’est difficile physiquement et moralement.
Être privée d’un accompagnateur, j’ai trouvé cela injuste et inconcevable. Mon conjoint est aussi le papa de ces bébés décédés dans mon ventre et j’ai dû leur dire au revoir seule. J’ai par contre eu la chance d’avoir un personnel médical incroyable lors des deux interventions.
J’ai envie de retomber enceinte, mais je ne sais pas si je suis prête à revivre une autre tempête comme la perte d’un 4e bébé.
Mais peut-on être prêt à perdre son enfant, aussi petit soit-il au creux de notre ventre ? Probablement que non. Et c’est là que l’espoir chuchote que c’est possible d’avoir un bébé en bonne santé et d’essayer. C’est fort l’espoir.
Pour le moment, j’y vais un jour à la fois et je regarde mon vif et téméraire 2 ans grandir un peu plus chaque jour.
Article par Gabrielle Charron Rainville Collaboration spéciale – Team J
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